Le football français en furie : une loi controversée sur la gouvernance déclenche une bataille pour l’âme du jeu

Le football français en furie : une loi controversée sur la gouvernance déclenche une bataille pour l’âme du jeu

Ce que beaucoup considèrent comme un moment charnière dans l’histoire du football professionnel français a déclenché une véritable tempête médiatique. La cause ? L’adoption par le Sénat d’une loi controversée visant à remodeler en profondeur la structure de gouvernance du sport. Le 10 juin 2025, le Sénat français a adopté un projet de loi qui accorderait beaucoup plus de pouvoirs à la Fédération Française de Football (FFF) et transformerait la Ligue de Football Professionnel (LFP) en société de clubs. Si la loi n’a pas encore été votée par l’Assemblée nationale, son adoption initiale a déjà provoqué une onde de choc dans tout l’écosystème du football.

Désormais, une coalition composée d’acteurs clés — notamment la LFP, les clubs de l’élite, les joueurs professionnels et les entraîneurs — s’est mobilisée pour faire front commun. Leur réponse a pris la forme d’un rapport de 58 pages, rédigé de manière unifiée et ferme, à destination des députés qui doivent se prononcer sur le texte à leur retour des vacances d’été. Révélé par L’Équipe, ce rapport marque une escalade majeure dans le conflit, officialisant le rejet du projet de loi par la quasi-totalité des acteurs majeurs du football professionnel.

Les racines de la révolte

Au cœur de la controverse se trouve la volonté du texte de transférer la gouvernance d’un modèle semi-autonome à une structure fortement centralisée autour de la FFF. L’article 11a du projet de loi cristallise toutes les tensions. Ce dernier prévoit en effet que la FFF pourra retirer sa sous-délégation à la LFP, et ainsi dissoudre la Ligue, en cas de désaccord dans les trois mois suivant la promulgation de la loi.

> « Dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, les fédérations délégataires peuvent, d’un commun accord avec la ligue professionnelle qu’elles ont créée, retirer la sous-délégation dont cette dernière bénéficie. À l’issue de ce délai, à défaut d’accord, la sous-délégation est automatiquement retirée. Ce retrait entraîne la dissolution de la ligue professionnelle », peut-on lire dans l’article.

 

Cette disposition a été immédiatement et largement condamnée. Les critiques estiment qu’elle impose en réalité une « négociation sous la menace », un dialogue fictif dont l’échec est déjà programmé. Le rapport s’insurge en ces termes : « Une négociation dont l’échec est acté par avance ne peut sérieusement avoir lieu. »

Les acteurs tirent la sonnette d’alarme

Ce qui rend cette contestation particulièrement marquante, c’est l’unité de ceux qui la portent. Il est rare que les différentes entités du football professionnel — dirigeants, présidents de clubs, syndicats de joueurs et représentants des entraîneurs — parlent d’une seule voix. Dans leur rapport commun, ils ne s’attaquent pas uniquement à l’article 11a, mais à plusieurs autres dispositions jugées dangereuses, floues ou déséquilibrées.

Malgré un langage mesuré évoquant une « démarche constructive et positive », le fond du message est sans ambiguïté : telle qu’elle est rédigée, la loi représente une menace directe à l’autonomie et à l’organisation actuelle du football français. Le rapport appelle donc les députés à modifier en profondeur le texte, voire à supprimer certains de ses articles les plus polémiques.

Parmi les nombreuses inquiétudes exprimées figure la crainte que le nouveau modèle proposé ne dilue considérablement l’influence de la LFP au profit d’une structure politisée et centralisée sous l’autorité de la FFF. Un changement qui, selon eux, mettrait en péril les progrès réalisés ces dernières années en matière de gestion financière, de développement des talents et d’indépendance commerciale.

Une dimension politique

La suspicion de manœuvres politiques ajoute de l’huile sur le feu. Le projet de loi est porté par les sénateurs Michel Savin et Laurent Lafon, réputés proches de Philippe Diallo, président de la FFF. Les acteurs de la LFP soupçonnent une tentative de prise de pouvoir, moins motivée par l’intérêt du football que par des considérations administratives ou personnelles.

Philippe Diallo, qui a succédé à Noël Le Graët et s’est souvent présenté comme un réformateur, se retrouve désormais dans la ligne de mire. Sa proximité supposée avec les auteurs du texte en fait une figure centrale de ce que beaucoup perçoivent comme une offensive centralisatrice. Si la loi est adoptée en l’état, elle pourrait ouvrir la voie à une autorité sans contrepoids de la FFF sur le secteur professionnel — une rupture historique avec le modèle actuel basé sur l’équilibre des pouvoirs.

Une bataille pour l’avenir

Les enjeux sont considérables. Au-delà de simples ajustements administratifs, c’est tout le modèle du football professionnel français qui est en jeu. La LFP a joué un rôle essentiel dans le développement du football hexagonal : organisation des compétitions, négociation des droits TV, accompagnement économique des clubs… Une rupture brutale de ce système pourrait avoir des effets en cascade, du vivier de jeunes talents à la compétitivité des clubs français en Europe.

L’opinion publique, de son côté, reste divisée. Certains considèrent que renforcer les pouvoirs de la FFF est une mesure nécessaire pour garantir une meilleure régulation à long terme. D’autres y voient au contraire une centralisation néfaste, source potentielle de blocages politiques et d’inefficacité.

Et maintenant ?

Alors que l’Assemblée nationale doit examiner le texte à la rentrée, les mois à venir seront décisifs. La fuite du rapport a déjà placé les parlementaires sous pression, prouvant que les principales figures du football français ne comptent pas se laisser imposer une refonte autoritaire de leur gouvernance.

Une chose est sûre : ce débat ne relève plus uniquement du domaine technique ou législatif. C’est désormais un affrontement total autour du futur du football français — sa gouvernance, son indépendance, et son âme.